En quelques années les 8.000, qui avaient tant résisté aux hommes jusqu’alors, cèdent les uns après les autres. L’Annapurna, l’Everest, le Nanga Parbat. La quatrième montagne à être conquise est bien le K2. Le 31 juillet 1954, Achille Compagnoni et Lino Lacedelli sont à son sommet. 8.611 mètres conquis de haute lutte. Récit.
Une aventure italienne
Si le projet est assez ancien, il prend forme concrète en novembre 1953 quand le gouvernement pakistanais émet un permis d’ascension du K2 pour une expédition italienne. Dans une Italie en lente reconstruction après la seconde guerre mondiale, cette nouvelle mobilise les foules. Si bien que Rome accepte de financer l’aventure. Une douzaine d’alpinistes sont sélectionnés, parmi lesquels Compagnoni, Lacedelli, Floreanini, Pagani, Puchoz, Viotto et surtout un certain Walter Bonatti. Il n’a que 24 ans mais il a déjà une solide réputation dans les Alpes.
L’expédition est dirigée par un scientifique, le géologue Ardito Desio. Son manque d’expérience s’agissant de gravir les montagnes sera un sacré handicap dans sa manière de diriger l’expédition. Il tentera de compenser par un excès d’autorité et en s’appuyant sur Compagnoni. Ils partent pour le Pakistan à la fin du mois d’Avril 1954. Quelques jours plus tard, ils marchent aux côtés de quelques 600 porteurs qui acheminent vivres et matériels le long du glacier du Baltoro. Le camp de base est érigé un mois plus tard alors que le mois de mai 1954 touche à sa fin.
La longue voie des Abruzzes
Alors que le mois de juin débute, le long travail d’équipement de la voie des Abruzzes a commencé. Au total près d’une dizaine de camps d’altitude vont être installés le long de la voie. Aujourd’hui, seuls 4 sont nécessaires à la plupart des expéditions. Premier coup dur quelques semaines plus tard, le guide de haute montagne Mario Puchoz meurt au Camp II de ce qui semble être un œdème de haute altitude. Jour après jour les hommes progressent sur la montagne mais la voie semble interminable. Le 18 juillet, la zone assez technique de la Pyramide noire est passée. Quelques jours plus tard, le camp VII est installé à presque 7.350 mètres. Le sommet n’est plus si loin.
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Les derniers jours de juillet
Tout s’accélère dans les derniers jours de juillet. Lacedelli et Compagnoni sont choisis pour aller au sommet. Avec trois autres grimpeurs, ils installent le camp VIII à 7.630 mètres environ. Plus bas que prévu. En route, un des alpinistes a fait demi-tour, malade. Le 29 juillet, les deux élus se dirigent vers le camp IX qu’ils veulent installer au-dessus de 8.000 mètres. Ils font face à des difficultés qu’ils ne parviennent pas à surmonter. Epuisés, ils font machine arrière. Le lendemain, ils parviennent ouvrir le camp IV. Bonatti et Mahdi, un porteur pakistanais, sont en soutien et transportent des charges entre les camps supérieurs, notamment des bouteilles d’oxygène. Mais ils ne trouvent pas le camp IX, les deux autres ne l’ont pas installé là où ils avaient prévu de le faire.
A la nuit tombée, ils sont bloqués dans la voie et doivent se résoudre à bivouaquer sans aucune protection. En criant, ils arrivent à communiquer avec Lacedelli et Compagnoni. Ces derniers les encouragent à descendre. Mais c’est trop risqué. Dès que le jour se lève, Mahdi entame la descente. Bonatti le suit quelques heures plus tard quand le soleil commence à réchauffer la paroi. A leur tour, Lacedelli et Compagnoni sortent de leur abri et parviennent au lieu de bivouac de leurs deux compagnons pour récupérer l’oxygène. Indispensable pour la suite de leur ascension. Le même jour, ils parviennent au sommet à 18h et y agitent un drapeau Italien et un drapeau pakistanais. Cinq heures plus tard, ils sont de retour au camp VIII.
Une ascension, deux versions…
Longtemps après cette victoire italienne au sommet du K2, Walter Bonatti livrera sa version des faits. Loin de la version officielle selon laquelle il aurait abandonné Mahdi pour tenter seul le sommet du K2, consommant l’oxygène prévu pour ses camarades Lacedelli et Compagnoni. Ces derniers auraient été contraints de grimper sans oxygène jusqu’au sommet. Ce n’est qu’en 1994 que Bonatti est disculpé et réhabilité. Sa version (racontée ci-dessus) est la bonne et les deux sont allés au sommet avec l’oxygène déposé par le benjamin de l’équipe, Walter Bonatti et son acolyte pakistanais !
Mahdi a été amputé des mains et des pieds. Bonatti ne se sortira de cette aventure qu’au bout de longs mois de dépression.
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Illustration © DR